Ce début d’année est marqué par la mort de nombreux artistes. Il est un renouveau à beaucoup de niveaux. Certes, il est aussi une charnière entre une soi-disant paix et une soi-disant guerre.
Tout a l’air chamboulé, sur ce point nous serons nombreux à nous mettre d’accord. Je lis, j’écoute, parler de solidarité, d’initiative citoyenne, j’écoute, je lis, parler de la déchéance de nationalité et des migrants. Je ferme les yeux sur les outrances, les outrages, je me demande.
Je me suis dit, hier, que oui, un monde dans lequel celui qui découvre un moyen de sauver des hommes de la maladie et le garde secret pour pouvoir le vendre et ainsi faire fortune, est un drôle de monde, un monde pas très drôle.
Je me suis souvent dit qu’arrivés à un certain niveau de fortune, les fortunés 1% de la population mondiale devaient se sentir bien démunis avec tout cet argent, car la multiplication exponentielle des milliards ne multiplie manifestement pas le bonheur, mais n’a surtout plus d’impact sur le confort, la liberté, la légèreté. Pourtant, on laisse croire encore de nos jours, à des gens sortis depuis bien longtemps des cavernes, qu’appartenant aux 99% malchanceux, ils pourraient atteindre le nirvana social en atteignant la caste sacrée des 1 autres pour-cents.
Le téléphone portable, les biens à usage individuel, je peux comprendre et si ce n’est l’obsolescence imposée je suis heureuse que nous n’en soyons plus, comme nos grands-mères, à laver notre linge au lavoir….quoique, c’était un moment entre nous, moment d’effort mais aussi d’autre chose je crois.
Mais je m’arrête un instant sur d’autres consommations. Imaginons combien il y a d’aspirateurs dans un immeuble parisien de 7 étages. Une quarantaine probablement. Et même si l’on est un acharné de l’aspiration, dans chaque maison, l’aspirateur ne doitpas fonctionner beaucoup plus d’une heure par semaine en moyenne….Mais voilà que je troque quelques heures de ma précieuse vie pour acquérir cet objet encombrant et l’utiliser 52 heures par an, peu- être donc 150 heures dans les trois ans de sa durée de vie. Et je choisis l’aspirateur design, sans sac, vu à la télé.
Et puis il y a cet ami qui a de la fortune. Et qui possède dans un garage gardé comme Fort Knox, une dizaine de très belles voitures de marques renommées. Pourtant, qu’à Dieu ne plaise il n’a qu’un cul à poser au volant de ces magnifiques voitures. Je me demande, tout simplement, si sa vie à lui a plus de sens que la mienne, ce qui peut le rendre encore heureux, ce qui lui arrache un éclat de rire, s’il a récemment regardé quelqu’un droit dans les yeux.
Parce que les gens aiment les étiquettes, on dirait que je suis partisane de la décroissance, que je suis écolo, baba, folle ou autre mais j’ai une certitude chevillée aux tripes. Un monde dans lequel un homme qui a découvert le moyen de sauver des millions d’hommes et qui garde secret ce moyen pour acheter des aspirateurs et des voitures, est un monde qui pèse lourd sur l’âme humaine.
Car nous n’en parlons plus de l’âme, même pas dans les guerres de religion que nous nous faisons, mais l’âme est là, sagement installée en nous, et elle s’alourdit de l’amoralité absolue de la société qui nous héberge.
Lorsque je la regarde, cette société, je sais qu’elle n’est déjà plus qu’un mirage, je suis déjà ailleurs, après, après sa disparition. Car le contrat du dollar qui régit l’homme actuel a mis l’homme cul pardessus tête. Ce n’est pas avec de l’argent que nous payons nos aspirateurs, bonnes gens, c’est avec de la vie, du temps de vie, du temps qui passe et ne reviendra plus. Du temps où nous ne voyons pas grandir nos enfants, vieillir nos parents ou partir nos aimés. La chose inerte que nous achetons avec notre sang n’est plus à notre service puisque nous sommes désormais au sien. Et lorsque des hommes disposent d’assez de fortune pour bien vivre, mais aussi pour sauver des pans entiers de l’humanité et qu’ils ne voient plus que leur vie perd son sens à ne vouloir sauver que soi, alors bien sûr nous nous sentons lourds.
Nous sommes lourds de la contrainte absurde à laquelle nous souscrivons, des conséquences violentes qu’elle engendre et que nous subissons, de l’amoralité qui est notre lot à chacun, de cette course que l’on ne comprend plus. Et de tant d’autres choses encore.